Méfie-toi de tes rêves n’est pas un « simple récit de voyage », mais un texte littéraire à part entière, où le vélo n’est qu’un prétexte pour traverser des territoires bien plus vastes : l’Europe, la mémoire familiale, l’exil, l’enfance, la fraternité.

À 54 ans, sans entraînement ni plan, Bekir Aysan quitte Mulhouse pour rejoindre Istanbul puis le village de sa mère, au bord de la mer Égée. 3500 kilomètres, dix pays, un vieux vélo, deux drapeaux et l’optimisme en bandoulière. Ce périple devient une véritable épopée européenne: routes secondaires, villages invisibles aux touristes, hospitalité sans frontière. À chaque étape, ce sont des visages, des tables partagées, des gestes de bonté qui racontent une autre Europe, populaire, chaleureuse, loin des discours abstraits.

Le livre se distingue par sa forte dimension poétique : une langue sensorielle, joueuse, qui passe d’une image burlesque à une fulgurance intime en trois lignes. On y trouve des scènes de pure comédie (un pépé aux pastèques, John Wayne en vélo électrique, des bivouacs improbables) et, dans le même mouvement, l’exil des ancêtres, l’ombre d’un père disparu, l’écho d’une enfance cabossée qui cherche à se réconcilier avec elle-même. L’humour y est omniprésent, jamais décoratif : il sert de phare, désarme la douleur, ouvre un espace de joie et de partage.

En filigrane, Méfie-toi de tes rêves interroge notre rapport à la liberté : que signifie partir, aujourd’hui, sur un simple vélo, au milieu des camions, des frontières et des peurs ? Que veut dire « rentrer chez soi » quand on est héritier d’un exil, né à Istanbul, grandi en Alsace, et que l’on porte plusieurs mondes en soi ?

Ce livre vient réveiller nos promesses personnelles : ces rêves qu’on a rangés trop vite, ces élans qu’on croyait réservés aux autres. À travers ce road-movie littéraire, profondément humain, Bekir Aysan montre qu’un simple guidon entre les mains peut devenir le moyen le plus sûr de traverser non seulement des pays, mais sa propre vie.